Société Mycologique du Haut-Rhin

 

 

 

Depuis quelques années, le climat donne l’impression de s’emballer. Des excès météorologiques de toute nature affectent nos régions et nos milieux : violentes rafales de vent, inondations à répétition et même une canicule écrasante qui fait tomber des records vieux de dix ans. La fonge s’accommode fort bien des chablis en décomposition ou des crues génératrices de nutriments, mais déteste par dessus tout les fortes chaleurs, surtout si elles sont accompagnées de longues périodes de sécheresse. Dans le nord-est de la France, au cours de l’été 2003, seules les tourbières des Hautes-Vosges cristallines sont encore susceptibles d’héberger quelques champignons, car même les tourbières des  Hautes Vosges gréseuses, telle la Maxe, sont quasiment à sec et les tourbières de fond de vallée des Vosges du Nord comme celles des plateaux comtois, à l’instar du Russey, sont largement désertes (1).

Dans les Vosges méridionales, tous les milieux engorgés d’eau ne sont pas logés à la même enseigne pour autant et une typologie s’impose selon leur morphologie et leur degré de colonisation par la végétation ligneuse. L’inventaire  de la fonge apporte son lot de surprises, avec la présence de champignons inattendus et, de-ci de-là, des poussées étonnantes par leur ampleur. Mais l’absence d’espèces emblématiques des tourbières et la sous-représentation de quelques  mycorhiziques classiques sont aussi à déplorer.

 

 

1.    UNE SECHERESSE SEVERE POUR LE MONDE VEGETAL ET   FONGIQUE

a.      La canicule de l’été : données météorologiques.

De la fin mai à la fin août, l’est de la France doit faire face à une vague de chaleur exceptionnelle. En juin, les moyennes mensuelles sont dépassées un peu partout en Alsace et en juillet un record historique de 38°6C est battu à Colmar. Mais c’est août qui fera date : les températures ne cessent de grimper les premiers jours pour culminer à 40°9C à Meyenheim le 13 du mois avant de décliner nettement , sans passer pour autant sous les normales saisonnières.

Plus que par son intensité, c’est essentiellement par sa durée que la canicule de l’été se singularise, car ni les épisodes de fortes chaleurs de 1983 ni ceux de 1976 ou même de 1947 ne s’étaient prolongés à ce point. La faute en incombe d’abord à l’anticyclone des Açores qui s’installe sur la France fin juillet et empêche toute entrée de systèmes dépressionnaires atlantiques habituellement à l’origine du rafraîchissement des températures estivales. Cette configuration, somme toute plutôt classique, se complique ensuite avec l’arrivée d’une masse d’air très chaud et très sec, en provenance du sud via les Pyrénées, qui agit en altitude comme un bouclier supplémentaire  empêchant les basses couches de se refroidir.

Les Hautes-Vosges, en principe îlot de fraîcheur et refuge pour les habitants de la plaine, la faune ou la flore, ne jouent plus guère leur rôle de ventilateur thermique. Alors que les conditions climatiques de la crête principale sont  proches, à l’accoutumée, de celles de l’Islande ou de la Norvège côtière au nord du cercle polaire, les températures maximales d’août flirtent cette année, à plusieurs reprises, avec le seuil des 30°C et les soirées demeurent étouffantes. Avec un dépassement de près de 5°C, les moyennes n’ont jamais atteint des plafonds aussi élevés.

De plus, il ne pleut quasiment pas en août, à l’exception des derniers jours et de l’une ou l’autre averse très localisée. Là encore, les écarts à la moyenne sont considérables et les déficits oscillent de 50 à 70 pour cent. S’il n’y a pas assez d’eau à évaporer pour déclencher les orages, c’est aussi parce que la montagne vosgienne a déjà dû faire face à plusieurs périodes de sécheresse depuis la fin de l’hiver ;  les cumuls de pluie de février à avril n’ont, par exemple, jamais été aussi faibles. Le manque d’eau se fait encore cruellement sentir en septembre qui est le huitième mois consécutif de déficit hydrique, en témoigne le prolongement des arrêtés préfectoraux de restriction d’eau jusqu’au cœur de l’automne.

L’effet conjugué de la fournaise et des épisodes récurrents d’aridité ont un impact considérable sur la flore et la fonge des Vosges du Sud.

 

b.     L’impact des excès météorologiques sur les forêts de montagne.

A tous les étages d’altitude, la forêt est sévèrement touchée .Les arbres privés d’eau vivent au ralenti comme pendant l’hiver et adoptent un comportement quasi méditerranéen. La plupart puisent dans leurs réserves stockées dans  les feuilles ou les aiguilles. Mais, très affaiblis et parfois mal remis de la tempête de 1999, ils ont bien du mal à résister à l’attaque des scolytes et dessèchent par milliers.

Les dépérissements touchent en priorité les essences qui ne sont pas en station, ce qui prouve, une fois encore, qu’il est extrêmement hasardeux de jouer contre la nature. Que de gaulis de résineux  grillés, que de perchis souffreteux aux quatre coins du Massif vosgien.

Mais  les essences mieux adaptées à leur milieu sont parfois en grande souffrance aussi, dans les endroits les plus secs, sur les éperons rocheux et les crêtes secondaires et sur sols superficiels, à l’instar des peuplements de feuillus des éboulis du lac d’Alfeld, plutôt habitués aux excès pluviométriques. Dans la vallée de Munster, certaines chênaies exposées plein sud sur sols squelettiques paraissent  comme passés au lance-flamme ! Et même les futaies bien installées sont parfois déstabilisées, comme les pessières - il est vrai monospécifiques - des Immerlins sur les hauteurs d’Orbey.

Dans ces conditions, les sous-bois ne peuvent être qu’en piteux état. Les régénérations grillent, les baies de framboisiers et de myrtilles dessèchent sur les tiges et les champignons manquent logiquement à l’appel, les saprophytes faute d’eau, les mycorhiziques en raison de la faiblesse de leurs partenaires ligneux entrés en dormance. Même les rives de lacs, au plus bas à la fin de l’été, ou les bords des torrents des étages forestiers supérieurs et subalpins, trop souvent asséchés, ne servent plus de refuge à la fonge. Restent les tourbières, milieux par essence éminemment humides.

 

c.     Les tourbières d’altitude, un refuge ultime pour la fonge.

Les tourbières cristallines des Hautes-Vosges sont alignées de part et d’autre de la crête principale  depuis le col du Bonhomme jusqu’au Ballon d’Alsace. Mais il y a tourbière et tourbière.

Les tourbières de haut-plateau, davantage alimentées par les précipitations que par les eaux de source, revêtent leur parure d’arrière automne dès la mi-août. Sans eau, peu ou pas de fonge. Le Tanet, presque entièrement ombrogène, n’héberge aucun champignon. Le Gazon de Faing, un peu plus équilibré, conserve quelques spécimens de petite taille.

Les tourbières de haut-col, comme celle du Pourri-Faing, alimentées au moins autant par les eaux de ruissellement que par les précipitations, tiennent quelque temps avant de s’assécher progressivement et ne reprennent une modeste vie fongique que début septembre. Le sort des tourbières de pente, telles celles de la forêt de Brande au-dessus de Longemer ou du ruisseau de l’Altenbach à Stosswihr, est sensiblement identique.

Les tourbières des combes à neige, très majoritairement soligènes, au pied  de fort dénivelés et relativement protégées du rayonnement solaire, à l’image du Wormspel ou de l’Ammelthal, conservent une petite fonge pendant tout l’épisode caniculaire et ce, malgré la baisse du niveau des sources.

Enfin les tourbières topogènes, alimentées par l’accumulation d’eau dans des accidents de terrain, connaissent des sorts bien divers. Les tourbières sans eaux libres ou à protection ligneuse insuffisante, tels le Missheimlé et la Côte 1000 dans la petite vallée de Munster, et  les tourbières trop éloignées de plans d’eau pour en tirer quelque bénéfice, comme celle du Sée d’Urbès, sont en difficulté et n’hébergent que quelques champignons disparates. En revanche, les tourbières qui ont conservé un plan d’eau suffisamment conséquent pour ne pas trop fluctuer à la baisse, le Machais,  Lispach,  Sewen et plus modestement le Frankenthal demeurent un peu plus productives et sont surtout plus réactives après les petites pluies de la fin août. Le Rothried, relativement bien alimenté en eau de ruissellement et protégé par un abondant couvert ligneux, fait un peu exception en conservant une fonge assez variée tout au long de l’été. Il a, il est vrai, bénéficié de l’une ou l’autre averse orageuse supplémentaire.

Reste que même les tourbières les plus résistantes ont un rendement fongique très en deçà d’une année habituelle.

 

 

2.     LES CHAMPIGNONS QUI BRAVENT LA CANICULE

a.      De  rares poussées, parfois spectaculaires.

S’il fallait élire le champignon de l’été 2003, le titre reviendrait incontestablement à Geoglossum cookeianum  qui fructifie, en pleine canicule, dans plusieurs tourbières vosgiennes. Des quantités considérables de massues noirâtres, un peu comme si elles avaient été semées, obscurcissent le  Machais et le Frankenthal. L’ascospore est souvent confondu avec celui de Trichoglossum hirsutum sous le prétexte un peu léger qu‘il a poussé dans les sphaignes alors que Geoglossum cookeianum a la réputation d’être plutôt sabulicole. Or, en plus d’une microscopie particulière, notre champignon a un stipe et une tête parfaitement lisses, alors que les massues de son cousin sont finement veloutées et hérissées. A noter qu’au Machais il pousse en association avec Microglossum viride dès la fin du mois d’août.

Galerina paludosa aurait pu lui ravir la vedette pour sa relative constance tout au long de l’été, mais aussi pour son ubiquité. Elle brave la fournaise dans une demi-douzaine de tourbières souvent  en compagnie d’un parent téméraire, Galerina tibiicystis. Une mention spéciale à Hygrocybe lepida pour sa présence à Longemer, à Lispach et au Missheimlé au plus fort de la canicule, à Lactarius aspideus qui fructifie abondamment, dès la fin août, dans des stations jusqu’alors inconnues (Sewen,  Stosswihr-Altenbach et  l’Ammelthal) ainsi qu’une citation pour Entoloma politum et Entoloma conferendum var. rickenii pour des raisons à peu près similaires.

b.     Quelques genres bien représentés.

Entoloma fait d’ailleurs partie des genres les mieux représentés grâce à E. pernitrosum (Rothried, Gazon de Faing, Machais), E. minutum (Altenweiher), E. turbidum (Rothried), E. sericatum (Rothried, Gazon de Faing) et le peu courant E. helodes (Pourri-Faing, Lispach, Machais) : il est proche de E. jubatum, gris-brun assez sombre, à revêtement fibrillo-tomenteux et dégage une forte odeur farineuse. Mais c’est E. melanochroum qui mérite d’être porté en exergue car, même si Nordeloos le donne palustre, il était davantage connu des prés-bois xérothermiques de la plaine rhénane que des molinies marécageuses des périphéries du Machais. Son sporophore noirâtre puis brunissant contraste avec des lames blanches dans la jeunesse, un peu comme E. corvinum, mais son stipe est subconcolore et il n’a pas de ponctuations au sommet de son stipe ce qui le différencie de E. aethiops.

Les hypholomes et les galères se défendent bien aussi. Hypholoma udum et Hypholoma ericaeum, bien difficiles à distinguer les uns des autres, sont bien ancrés au Machais, à Lispach et au Pourri-Faing. Ils donnent même l’impression d’être mieux représentés cet été qu’en année normale. H. elongatum, très tardif, et H. polytrichi, découvert en marge des zones fangeuses de l’Altenweiher, complètent le genre. Parmi les galères, outre G. paludosa et G. tibiicystis, il faut signaler les fructifications de G. sphagnorum (Rothried) et de Phaeogalera zetlandica (Gazon du Faing, Rothried).

Ces classiques des tourbières sont talonnés par un genre inattendu, celui des Leccinum, seuls parmi les grands mycorhiziques à résister aux excès thermiques. Comme ils sont tous associés aux bouleaux (B pubescens, B. verrucosa), on aurait pu imputer leur venue à un meilleur comportement de ces arbres face à la sécheresse, mais l’absence des autres espèces qui lui sont habituellement inféodées nous oblige à écarter cette hypothèse. Au Rothried prospèrent quasi simultanément L. pulchrum et sa  forme  fuscodiscum, L. aerugineum, L. molle et L. variecolor fo. sphagnorum, au Machais, L. aerugineum et L. brunneogriseolum var. pubescentium qui pousse également à Lispach et même dans les mini tourbières gréseuses de Labaroche. Les formes et variété signalées sont toutes nouvelles pour l’Alsace, mais il  a fallu toute l’adresse d’un Paul Hertzog pour débrouiller ce genre très difficile.

 

            c. Des fructifications d’espèces rares

 De fait, plusieurs champignons rares ou méconnus sont venus égayer le quotidien plutôt morose des mycologues alsaciens. Ce sont principalement de petites espèces qui ont dû trouver des conditions propices pour  fructifier. Il est vrai aussi que le récolteur, poussé dans ses derniers retranchements, a  été plus attentif aux espèces  insignifiantes…

Dans la grande famille des  ascomycètes nous pouvons citer Calycina herbarum (Altenweiher), Trichophaea gregaria (Rothried, Stosswihr-Altenbach), Hymenoscyphus scutula (Gazon de Faing) et Hymenoscyphus salicellus (Stosswihr-Altenbach, Ammelthal). Dans un autre registre, la peu commune Peziza limnae sort quasi conjointement dans plusieurs tourbières à la fois, tantôt seule représentante de sa famille, tantôt en compagnie d’une deuxième rescapée, Peziza badia.

Les petits basidiomycètes sont encore plus variés. Signalons Lentinellus suavissimus, Calyptella capula et Calyptella campanula au Rothried, Resinomycena saccharifera,  présente une première fois au Rothried fin juin avant de réapparaître début septembre au Gazon de Faing, Pleurotellus fuscifrons - une espèce qui figure dans le « Moser », mais qui a disparu de la littérature depuis lors - dans les saulaies de Lispach ou encore Gerronema cyathellum, à la fois à Belbriette et au Machais, reconnaissable à son chapeau gris très ombiliqué et strié par transparence, à ses lames fortement décurrentes et à sa légère odeur pélargoniée.

La rarissime Arrhenia roseola (=Pleurotus roseolus Q.) mérite une distinction particulière. Elle se présente un peu comme un jeune Panellus ringens, rose dessus avec un velum blanc et de petites stries, des lames subconcolores et pratiquement pas de stipe. Au froissement, elle dégage une  agréable odeur fruitée-pélargoniée.  Elle a trouvé refuge  dans les carex fangeux des contreforts de l’Altenweiher, milieu qu’elle partage avec Arrhenia acerosa var. tenella.

Parmi les champignons rares de taille plus respectable, Hemipholiota myosotis surprend par son abondance. L’espèce fructifie tout l’été au Rothried, au Gazon de Faing, au Machais et même à l’Ammelthal. Son sporophore est terriblement déroutant, tantôt brun-bai, costaud, raide et guirlandé à la Hygrophorus olivaceoalbus, tantôt au contraire chétif, pâle ou jaune-paille, très gluant, avec de simples traces vélaires en périphérie du chapeau. Armillariella ectypa est un peu moins fréquente, mais largement sur représentée par rapport à une année normale. Elle n’est pas sortie au Frankenthal, mais elle est présente dans sa station à Lispach et pousse même au Machais où elle n’avait encore jamais été signalée. Elle revêt un habit jaune–ocre tendre un peu déroutant, se coiffe de mèches sombres et ne sort qu’accompagnée.

Mais c’est un champignon réputé alpin, inconnu du nord-est de la France, qui surprend le plus. Russula laccata prospère simultanément au Machais et à l’Ammelthal, dans des biotopes identiques, à savoir une saulaie buissonnante (S. aurita, S. cinerea, hybrides) piquetée de bouleaux. De prime abord, il donne l’impression de n’être qu’une R. gracillima de petite facture avec ses couleurs rose-brouillé, mais le chapeau est plus pâle en périphérie et  nettement pourpré, voire même olivâtre-sombre au disque. De plus, il s’en éloigne par sa saveur franchement âcre et, surtout, par la patine indélébile qui recouvre la cuticule et qui est à l’origine de son nom. En fait il appartient à la section des Violaceinae comme R. pelargonia ou R. cavipes.

La découverte de ce champignon est d’autant plus étonnante que les russules n’ont guère brillé par leur présence cet été.

3.     LES GRANDS ABSENTS DE L’ETE 2003

a. Les mycorhiziques de grande taille à la traîne.

Mis à part les Leccinum, qui ne sont d’ailleurs vraiment présents que dans deux ou trois tourbières, les grands mycorhiziques ont déserté le Massif vosgien.

Les russules émétiques, d’habitude si abondantes dans leur milieu de prédilection qu’elles égaient de leur couleur rouge vif, ne fructifient pas cet été. Russula emetica var. griseascens, trouvée par F. Sarraillon au Rothried en un unique exemplaire, se veut l’exception qui confirme la règle. Sa cousine, Russula betularum, dévoile timidement le bout de son chapeau au Rothried, au Frankenthal et au Pourri-Faing, parfois en compagnie de Russula nitida var. heterosperma.  Quelques  russules ne se montrent qu’au Rothried, mais en très petit nombre : R. claroflava, R. puellaris et R. aquosa. Quant aux autres classiques des tourbières, R. nitida -type, R. sphagnophila, R. consobrina ou R. paludosa, ils sont  introuvables tout au long de l’été.

A l’exception notable de L. aspideus, la situation est sensiblement la même pour les  lactaires. L. tabidus, d’habitude omniprésent dans les lieux  humides, n’est débusqué qu’à l’Altenweiher et au Rothried. L. glyciosmus qui embaume les tourbières de son odeur de coco n’est signalé qu’au Machais et au Rothried. L. helvus sort au Rothried et plus tard en saison dans la fange de l’Altenbach où il côtoie L. badiosanguineus et L. fulvissimus, rarement recensé dans ces milieux. Une seule station pour L. omphaliformis (Longemer),

L. camphoratus et L. trivialis (Rothried) ainsi qu’une curiosité, L. vellereus, qui tente sa chance, une fois n’est pas coutume, dans cette même tourbière du Rothried début septembre. Mais pas un seul L. vietus, L. repraesentaneus, L.rufus, L. albocarneus, ou encore L. curtus, L. lignyotus, L. uvidus et L. sphagneti.

Les cortinaires ne sont pas mieux lotis, au contraire, pas plus que leurs petits cousins les inocybes. Les espèces emblématiques des tourbières boisées, C.subtortus et C. paleaceus, ne poussent qu’au Rothried, mais dans un laps de temps très court, de fin août à début septembre. Dermocybe palustris est absent du Frankenthal où il abonde parfois, mais il fait une brève apparition au Rothried . Les autres espèces ne sont qu’anecdotiques : C. glandicolor et C. casimiri au Machais, C. trivialis le long de l’Altenbach. ni C. armillatus, ni C. pholideus, pas de C. scaurus, de C. sphagnogenus ou de C. speciosissimus. En ce qui concerne les inocybes, c’est encore une fois le Rothried qui sauve la mise avec les classiques I. umbrina et I. lanuginosa ( fo. casimiri), mais aussi le peu courant I. proximella. Inocybe lacera var. helobia, un des rares représentants de la fonge du Sée d’Urbès et I. acutella, inféodé aux saules du Machais et de Sewen, n’avaient encore jamais été déterminés par Paul Hertzog.

Quant aux amanites, réputées estivales et que l’on croyait donc plutôt résistantes aux excès thermiques, elles sont carrément aux abonnés absents, au même titre d’ailleurs que certaines espèces sphagnicoles strictes.

         b. l’absence de sphagnicoles emblématiques dans les tourbières ouvertes.

Le comportement de quelques grands classiques des tourbières face à la canicule peut surprendre.

Tephrocybe palustris fait partie de ces champignons incontournables qui prospèrent sur le plus petit carré de sphaigne souvent en compagnie de Galerina paludosa avec laquelle il partage la vedette. Or cette année le champignon ne fait qu’une brève apparition en juin à Lispach et au Frankenthal avant de disparaître du paysage des Hautes-Vosges, sans la moindre réminiscence automnale. A l’exception notable de Gerronema cyathellum, les omphales ont un parcours sensiblement équivalent. Omphalina sphagnicola est présente fin juin puis ne réapparaît plus jamais nulle part.

Avec Hypholoma elongatum, autre pensionnaire attitré de ces milieux, c’est l’inverse qui se produit. Alors qu’il hante habituellement les tourbières dès la mi-juillet, sa présence n’est attestée que le 10 septembre au Rothried, puis il apparaît le 12 au Gazon de Faing, le 13 à l’Altenbach et le 15 au Machais. Son absence, au cœur de la saison estivale, contraste avec la bonne tenue relative de ses congénères du genre Hypholoma.

Les mêmes remarques valent pour Phaeogalera stagnina et Laccaria moelleri, à ceci près que ces espèces ne sortent que bien plus tard, une fois l’automne solidement installé.

                   c. Un rattrapage très partiel et localisé en fin de saison

La question du rattrapage compensatoire se pose avec les averses qui arrosent la montagne vosgienne à la mi septembre. La réponse semble évidente après les poussées hallucinantes et largement inédites d’espèces notoirement allogènes, comme ces Psilocybe squamosa qui couvrent par milliers les talus du Breitfirst à plus de 1200m. d’altitude ou ces Agaricus campestre qui prospèrent par plages entières le long de la route des crêtes entre le Tanet et le Calvaire. Et pourtant, dans les tourbières d’altitude plus rien ne bouge comme pour respecter le vieil adage «après l’heure, c’est plus l’heure». Il faut dire que les premières gelées de la fin septembre, finissent par décourager les velléités fongiques au-dessus de 1000m.

Le cirque du Machais,  situé juste sous ce seuil fatidique et apparemment mieux protégé, se démarque nettement, à la grande joie des congressistes de la Société mycologique de France basée à Saint-Dié. La prospection qui, par chance, a lieu juste avant les intempéries neigeuses, permet de recenser une cinquantaine d’espèces, dont Cortinarius albonigrellus et Cortinarius sphagnogenus, introuvables tout l’été, quelques inocybes plutôt courants, mais aussi Trichoglossum hirsutum  et des galères, G.calyptrata, G.heterocystis et G.sphagnorum.

Mais l’espoir de nouvelles poussées compensatoires est définitivement abandonné après les fortes chutes de neige qui enveloppent  la montagne au-dessus de 700-800m d’un épais manteau blanc. C’est compter sans la tourbière de Retournemer ! Dans l’aulnaie-saulaie inondable, située à 780m. d’altitude, les découvertes sont encore légion et surprennent tout le monde : une flopée d’Alnicola (A. submelinoides, A. scolecina, A. escharoides, A. rubriceps, A. umbrina fo. gracillima), des entolomes dont E. bisporigerum, des lactaires avec l’inusable L. aspideus,  présent à Lispach au même moment , mais aussi L. clethrophilus et L. obscuratus, des russules telles R. pumila, qui sort également, mais à basse altitude, sur le versant alsacien, R. cupreola, en marge de la tourbière et  R paludosa que l’on n’attendait vraiment plus, pas plus d’ailleurs que Phaeogalera stagnina. Hemipholiota myosotis est encore là, Armillariella ectypa (var. caespitosa) aussi et les congressistes vont même jusqu’à dénicher quelques raretés à l’instar de Galerina cephalotricha, Stropharia albonitens ou Entoloma tjallingiorum. Ce dernier pousse sur souche de conifères et se rapproche un peu, par sa silhouette et ses couleurs, de l’Entoloma alnetorum que nous avions trouvé au Lachtelweiher de Kirchberg quelques jours auparavant.

Mais la découverte du rarissime Hohenbuehelia longipes éclipse un peu toutes les autres. De loin, le champignon a l’habitus d’un clitocybe avec son stipe élancé (4cm.) surmonté d’un chapeau brunâtre de 2-3cm. de diamètre et déprimé au centre, mais ses lames blanchâtres descendent en filet sur le stipe et sa cuticule est gélifiée. Dans ces milieux montagnards, il clôt en beauté une année déroutante et atypique, ponctuée de quelques jolies trouvailles.

 

 Après la terrible canicule du mois d’août 2003 et les épisodes récurrents de sécheresse, les tourbières des Hautes-Vosges ont été longtemps l’ultime refuge de la fonge. Les tourbières  protégées par un couvert ligneux dense et bien alimentées en eau de source ou de ruissellement et les tourbières qui ont pu garder un plan d’eau suffisamment conséquent pour contrecarrer les effets de l’évaporation sont restées relativement  productives. Les champignons non plus ne réagissent pas de la même manière face aux excès thermiques. Parmi les grands mycorhiziques, les Leccinum, inféodés aux bouleaux, et dans une certaine mesure les entolomes, semblent plus résistants que les amanites, les cortinaires, les russules et les lactaires, à l’exception notable de L. aspideus. Dans le milieu des sphagnicoles stricts, qui prospèrent dans les tourbières ouvertes, les contrastes sont encore plus nets entre d’une part Geoglossum cookeianum, Galerina paludosa, Galerina tibiicystis ou Hygrocybe lepida, présents tout l’été, et Tephrocybe palustris, Hypholoma elongatum ou Omphalina sphagnicola d’autre part qui ont beaucoup de mal à fructifier par ces conditions extrêmes.

Mais toutes ces remarques méritent d’être étayées et affinées à l’avenir par de nombreuses observations complémentaires, car la fonge est tellement complexe et fait intervenir tant de paramètres qu’il serait bien mal venu de tirer des leçons généralisables à tout type de tourbières ou à tout type de milieux à partir des seules constatations de cet été exceptionnel.

 

(1). Les tourbières bénéficient de mesures de protection parfois contraignantes. Pour éviter d’enfreindre la loi, certaines observations n’ont pu être effectuées qu’à partir de leurs marges et les prélèvements ont été limités au strict minimum.

 

 

Remerciements : Ils vont à Paul Hertzog, étroitement associé à cette étude. Nous lui devons la détermination de la grande majorité des espèces et nous lui sommes particulièrement reconnaissant pour ses conseils avisés.